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12/05/2016 «  Avant que le temps ne file »

présenté par la compagnie éphémère Les arts se tissent.

Se croiser ou se rencontrer ? Les hommes et les femmes qui ont envahi la scène de Servon, ce jeudi 12 mai, ont choisi de suspendre le temps pour offrir au regard des rencontres, et donner à entendre des histoires. Histoires émouvantes, cocasses, authentiques. Les objets et les situations appellent à l’expression de soi, premier pas incontournable vers l’échange. Les jeux de mots se répondent : «la deuxième fois n’est qu’une première deuxième fois!» n’est-ce pas ? Une lettre adressée au frère sonne comme un appel à renouer le dialogue. Même un simple geste tend vers une danse partagée. Au gré de ces mises en contact les talents envahissent la scène.

Qu’il s’agisse de se débarrasser d’une valise trop lourde, ou d’une veste devenue insupportable à porter, c’est toujours d’un geste libérateur que les personnages s’arrachent à une vie pour aller de l’avant. Rêvant peut-être d’être légers, comme un avion en papier ou une chaise sur le bout d’un nez. La pièce donne à voir des êtres qui vagabondent puis prennent un siège, quelque part dans un train ou dans une gare. Occuper une place, ou plutôt trouver sa place sans la société, apparaît comme un thème essentiel du spectacle.

De fait, ce projet artistique a été porté par l’AIS 35, structure d’aide à l’insertion socio-professionnelle. La culture est un vecteur privilégié pour tisser des liens, comme se tissent les arts, réveiller ou exprimer ses capacités. Et enfin trouver un nouvel élan pour la suite qu’il appartient à chacun des participants d’écrire. Le spectacle est en effet l’aboutissement d’une année à l’issue de laquelle la troupe se dispersera. Une année durant laquelle les artistes ont suivi des ateliers d’écriture, de cirque, de danse… L’insertion c’est aussi une histoire de rencontres. Que ce soit avec des comédiens, clowns, techniciens du son, ou avec des spectateurs lors d’une représentation, le projet est tout entier tourné vers la rencontre.

Pour le directeur de l’association, Laurent Cambon, l’insertion implique aussi une estime de soi qui ne saurait se passer de la décence de recevoir un salaire. Là réside l’originalité de l’association : monter sur scène est un métier, la troupe est donc salariée. Les motivations évoquées pour se lancer dans l’aventure sont diverses. Certains cherchaient à se remettre au travail, d’autres y ont vu l’occasion d’approcher le milieu de la culture et le monde associatif, d’autres encore aspiraient à prendre confiance en eux. En tout cas, le mélange des âges et des parcours de vie est porteur de la richesse du spectacle.

Et finalement, si louper son train n’est que l’acte manqué qui cache un heureux hasard, quelle leçon retenir de ce spectacle ? Peut-être qu’il faut laisser au temps le temps de nous surprendre, car c’est à ce moment précisément que la parole se délie pour s’ouvrir à l’autre. Pour se découvrir avant que le temps ne file.

Celia Pousset

 

13/05/2016 « Mr Kropps, l’utopie en marche »

  Compagnie gravitation

Avant même de commencer, cette assemblée générale semblait bien mal partie. L’installation des chaises peut paraître anecdotique, mais en réalité l’esprit du « collectif » doit s’incarner à même l’espace : Dès lors la configuration arc-en-ciel est de rigueur. Elle était sensée augurer une réunion harmonieuse et surtout constructive…On en est quand même à la 18ème… Ça, c’était en théorie. En pratique, c’est tout le contraire, et c’est pourquoi on rit, beaucoup. On a beau «  densifier » l’arc-en-ciel et se serrer, notre présence au sein de ce groupe de parole demeure encore mystérieuse. Jusqu’à ce que tout s’éclaire : Nous sommes là pour voter, de façon des plus démocratiques qui soient, la superficie des espaces « intimes » et celle du lieu de vie collective de notre futur habitat commun. Spectateurs, nous devenons membres à part entière d’une communauté libertaire/libertine, aux accents un peu sectaires.

Des propositions alléchantes de week-end nous sont proposés, comme le week-end cul-culinaire ou bien celui consacré à « la rencontre de soi et de l’autre à travers mon corps et le tien». Tout à l’air très sympathique. Les coordinateurs semblent pourtant sur les nerfs.Ils s’accusent mutuellement de bafouer les principes de la communauté, de « pédaler dans le yaourt », de nier la démocratie, ou d’être partial dans l’exposé des 3 solutions de partage de l’espace. Il s’agit en effet de déterminer s’il ne vaut mieux pas jouir d’une grande surface collective au détriment de l’habitat particulier, ou l’inverse. Mais il existe aussi la solution moyenne, tiédasse. A chacun de se positionner, en conscience. De toute manière, personne ne sera jugé car le principe fondateur du collectif est « d’accueillir » la diversité d’opinions. Mais qu’en est-t-il de la mixité sociale? Simplement, encore une occasion de plus pour se crêper le chignon.

Alors, pour répartir sereinement la parole une « banane de la parole » circule, avant d’être avalée. Le génie de ce spectacle loufoque est de faire se regarder les spectateurs, de rire ensemble, et de débattre de problèmes fondamentaux de la société. Par exemple, que faire des enfants ? Et puis, doit-on vraiment en faire ? Comment interdire les tondeuses ? Tout est, en définitive, question de subtilité et de nuance : former des cercles de parole n’est en rien entamer une discussion préliminaire, et 4 m² par personne ce n’est pas si petit que ça si les toilettes sont collectives ! Le problème sous-jacent est de savoir comment s’y prendre pour donner corps à un « rêve collectif », à une utopie. En effet, cohabiter c’est d’abord se mettre d’accord : vraiment pas gagné… Finalement, à l’issue de cette assemblée on ne sait pas encore quelle forme prendra notre village communautaire, mais tant pis, on a bien ri.

Celia Pousset 

14/05/2016 Un samedi pas comme les autres avec Vagabondages &Compagnie

Tout d’abord, pour entamer une nouvelle journée de festival dans la bonne humeur, on se retrouve chez René et Marie Jo afin de réveiller nos oreilles et papilles. Confortablement installés, thé ou café à volonté, on déjeune au rythme des Jackson Five, de Claude Nougaro et de Gainsbourg. Le duo Dienda nous emporte une heure dans le cercle privé de leurs chanteurs préférés. C’est quand même pas tous les jours qu’on peut frapper des mains de si bon matin, et en harmonie avec un tambourin !

Après s’être introduit au beau milieu d’un salon inconnu, le temps d’un concert pour privilégiés, on a pu poursuivre notre matinée avec Boby et Jipy. Sous le chêne de Sophie et Damien, on teste nos connaissances sur « Robert Foulecamp », identité malicieusement inventée par Bobby Lapointe. Les gagnants ont le privilège de donner le ton pour les chansons suivantes. Le monde de contrepèteries et de calembours de l’excentrique Boby, et de l’autre farfelu Jean Pierre Verheggen, ressurgit soudainement. La langue fourche délibérément, les mots se télescopent pour en créer de nouveaux, les mélodies se font entêtantes.

Les plus curieux ont aussi pu s’engouffrer dans les caravanes rétro de la compagnie Scopitone. A l’intérieur, on s’agglutine et on se tient chaud, pour éviter les sueurs froides qu’essaient de nous donner Barbe bleu et le Grand méchant loup… Les fameux contes passent à la moulinette déjantée de nos hôtes pas très causants, mais tout de même accueillants ( quoique donner des bonbons aux enfants peut passer pour une stratégie perverse de méchant loup !). Dans ce théâtre d’objets tout est susceptible de s’animer au son un peu rayé des vinyles. Avec Ze patrecathodics, dans ces belles caravanes, on aurait de quoi s’occuper sur la route des vacances pendant longtemps !

A 16 heures , afin de nous ouvrir l’appétit pour le goûter, Juliette nous chante des recettes, entraînée par le piano d’Ellen. Le duo s’attaque à un répertoire varié, de Fauré à Buena Vista Social Club. Le sourire accroché aux lèvres, les filles sont rayonnantes…Le public est conquis, et en redemande !

Finalement cette journée se termine dans la danse. La Cointerie, foyer lumineux dans la nuit fraîche, accueille les amateurs de pizzas, buveurs de bières, rockeurs… La campagne de Servon s’électrise avec Salut les copains, des DJ’s à l’allure mémorable. Certains chanceux ont ainsi pu déguster des pizzas faites avec amour, et humour, par les comédiens-ouvriers de Quignon sur rue. Des ateliers atypiques ont aussi attiré des enfants curieux. Cette soirée familiale et festive était manifestement placée sous l’étoile de la bonne humeur…

 

15/05/2016 Compte-rendu d’un dimanche ébouriffant…

Jungle trip, spectacle Hip Hop par la Cie Primitif

Quand le bourg de Servon bruisse des murmures de la jungle, les flâneurs se rassemblent pour assister à un ballet surprenant : l’histoire de l’évolution humaine se danse. Les silhouettes se redressent peu à peu, les têtes courbées laissent place à l’affrontement des regards, invitant bientôt au heurt des corps. Pour la troupe de danseurs l’histoire de l’humanité commence par la peur de l’étrangeté, entremêlée à la curiosité. La confrontation est donc inévitable, l’art des battles prend tout son sens. Cette épopée accélérée suggère une dénaturation de l’humain, un processus irrépressible de régression. Le bipède a en effet une sacrée tendance à l’auto-destruction… Il portera toujours en lui une part de sauvagerie, quelque chose de « primate ».

Mais la danse, art du mouvement par excellence, est bien incapable de se figer en une seule signification. Dès lors, l’interprétation peut librement fluctuer, en fonction de ce que le spectateur voit et perçoit. Ayã Brown Carvalo, danseur, confie «  on propose, on n’impose pas ».

La randonnée secrète

En cet après-midi ensoleillé nous avons bien crapahuté derrière la calèche à chanter : Partant de l’ancienne école privée, nous avons entrepris l’ascension vocale de «  la montagne » de Jean Ferrat, avant de descendre se réchauffer dans « le sud » de Nino Ferret. Les sportifs de la glotte et les promeneurs du dimanche se sont régalés. Ponctuée de lettres chevaleresques, la balade a fait résonner les voix des nombreux participants de cette saison 2016. La chorale improvisée s’est ensuite requinquée avec un goûter, bien mérité, mis en place par les bénévoles du festival.

Rosie Volt – La natür c’est le bonhür

La bergère survoltée, Rosie, déboule sur la prairie du coin de l’église, dans un joyeux tintamarre. Derrière elle, un troupeau de mouton carillonne. Devant elle, plus d’une centaine de « bêêêêêetes » la regarde avec de grands yeux étonnés. Après de longs mois dans les alpages, la bergère est prête à tout pour trouver l’amür… Elle chante, elle bêle, elle bredouille. Trouver le bon bouc n’est pas facile, le séduire l’est encore moins ! La femme du Tyrol est pourtant bourrée de talents qu’elle ne manque pas de faire valoir. En tout cas, le troupeau de spectateurs est sous le charme. On rit de Rosie, et à travers elle, on rit de soi, de notre quête désespérée de bonhür.

En effet, pour l’interprète Daphné Clouzeau, une des fonctions principales du clown est l’auto-dérision. Le personnage de clown fonctionne comme une parodie de ce que l’on est, il en retient le grotesque mais aussi la sensibilité. Dans l’excès, le clown raconte une tranche de vie, une miette de soi. Pourtant, à même sa spécificité, le clown exprime quelque chose d’universel. La recherche de son autre moitié est un thème incontournable. La force du clown est alors de dédramatiser le sérieux de la vie. L’artiste invoque le processus de « catharsis par le rire » : le rire tend à la résolution du tragique de notre existence. Résolution mais aussi guérison. De fait, Daphné Clouzeau est aussi clown à l’hôpital via l’association Le Rire Médecin. Pour elle, faire rire est un don qu’elle se doit de partager pour rendre les gens heureux, et par là trouver un sens à sa vie.

Il est vrai, en tout cas, que la bergère Rosie Volt soigne tous ceux en mal d’humour… A mi-chemin entre l’enfant et le vieux sage, entre la naïveté et la lucidité, le clown est surtout une manière de voir le monde, et de lui répondre. Choisir de rire c’est refuser le cynisme, c’est embrasser la vie.

Celia Pousset